lundi 13 août 2018

«No Future» ? Pas sûr...

J'en avais déjà entendu parler depuis des années, en avais même déjà goûté une gorgée ou deux par-ci par-là sans pouvoir approfondir. Mais ça y est, j'ai débuté l'exploration de la gamme de la brasserie alsacienne Sainte Cru. Et je l'ai débutée par l'une de ses plus impressionnantes créations, au nom évoquant l'anarchisme à travers l'un de ses plus fameux slogans : No Future.

Quid de la Brasserie Sainte Cru ? La Brasserie Sainte Cru, ce sont trois brasseurs qui, en 2007, ont débuté leur exploration, leur recherche de ce qui manquait dans les bières qu'ils buvaient. Une recherche qui aurait abouti avec la rencontre du style IPA. Ce sont les houblons du Nouveau Monde qui leurs manquaient. De là a commencé une histoire des plus classiques d'amateurs qui ont commencé avec une cuve 20 litres chez eux, ont affiné leurs recettes, ont augmenté leurs capacités de production et fait goûter leurs produits largement autour d'eux, et enfin se sont lancés devant le succès de leurs breuvages. Un succès qui, encore aujourd'hui, ne se dément pas. Et ce n'est certainement pas moi qui le démentirai.

Mais la Brasserie Sainte Cru, c'est aussi une dose de militantisme pour certaines valeurs : pacifisme, nihilisme, néolibéralisme (vraiment ?), satire, anti-autoritarisme... Bon pour être honnête, je ne sais pas si tout cela est véridique, étant données les contradictions entre certains termes, ou si c'est de la satire complète justement. Mais ce sont des mots qui s'attachent aux bières de la brasserie. Une chose sûre est que ces mots forts mais contradictoires - un chouïa fous et provocants peut-être ? - résument bien un autre pan de la devise des brasseurs : "1/3 d'illumination, 1/3 de folie et 1/3 d'anticonformisme, 100 % d'orgasme gustatif".

Et tout cela mis à part, qu'est-ce que No Future ? Eh bien, ce n'est rien moins qu'un Imperial Stout. "Et c'est quoi ça, un Imperial Stout ?" Je savais que certains poseraient la question, donc j'ai pris les devants. Boah, il s'agit juste d'une bière noire du type de cette bière irlandaise connue mondialement qui commence par G..., mais à la puissance 10. Rien de bien méchant en somme... Un p'tit breuvage sympa, un chouïa foncé, un tout p'tit chouïa puissant et riche, dont le style fut créé à l'orée du XVIIIe siècle pour le tsar Pierre le Grand, et dont la Grande Catherine fut un peu plus tard une immense consommatrice. No Future est un p'tit truc de ce genre-là, brassé à partir de malts d'orge pâle et foncés pour la couleur et les saveurs. Ce sont aussi des malts de blé, qui participent notamment à la bonne tenue de la mousse. Il y a certainement des céréales torréfiées sans être passées par la case maltage pour accentuer encore la couleur et les saveurs. Tout cela mélangé suivant des doses savamment étudiées pour lui donner simultanément une couleur plus noire que le goudron et une teneur élevée en alcool. Des houblon (dont les variétés ne sont pas plus mentionnées que celles des malts) sont ajouté, sûrement en quantités, pour contrebalancer un tant soit peu les saveurs très corsées dues aux malts. Et tout simplement parce que le houblonnage massif est le leitmotiv de la brasserie. De fermentation haute, elle est refermentée en bouteille. Elle titre 11 % de teneur en alcool, ce qui en fait une bière très forte, à déguster raisonnablement et sans se presser. Et ce, aux alentours de 14-15° C.

No Future

Le Rouge et le Noir ne trompent pas...
Au visuel, elle s'habille d'une robe noire opaque et se coiffe d'une tête de mousse brun clair, couleur mousse d'espresso, abondante et compacte, bien collante en très fins morceaux de dentelles, bien persistante en un fin col.

Au nez, ce beau col de mousse laisse s'échapper des arômes bien perceptibles et corsés, aux tons grillés, mêlant notes torréfiées type espresso à café noir fort et fortes notes de chocolat noir.

En bouche, l'entrée est peu effervescente, de texture liquoreuse - presque huileuse - mais se révèle tout de suite chaleureuse. De là, on aboutit sur un corps réunissant des saveurs correspondant au bouquet ressenti au nez : les notes chocolatées sont encore plus marquées, mais laissent tout de même une belle place aux notes torréfiées de café noir et d'espresso, envahissant le palais sans pour autant être écoeurantes. On perçoit une pointe réglissée et de fruits noirs macérés dans l'alcool, avant une amertume tout en grillé assez rude, mais qui pourrait l'être encore plus si l'alcool ne venait arrondir les angles et apporter une touche très chaleureuse tout le long de la dégustation. Une chaleur et des saveurs qui persistent longuement en bouche une fois la gorgée savourée et avalée.

Un Imperial Stout anti-autoritaire (si si, c'est écrit sur la bouteille) qui, paradoxalement, fait autorité à mon sens. Imperial Stout, déjà, ça calme... 11 % de teneur en alcool, ça impressionne... Du début à la fin, No Future impose le respect en alliant une certaine rudesse à une douceur certaine, tel quelqu'un qui saurait manier l'autorité avec justesse et justice. Alors pardon aux brasseurs si j'offense leur anti-autoritarisme, idée qui a pourtant mon adhésion, mais voilà ce que No Future m'inspire. Et je ne sais pas ce qu'il en est de cette bière elle-même, mais la Brasserie Sainte Cru a un futur, c'est certain. Et qu'est-ce qu'on mange avec No Future ? Pourquoi pas un fromage de chèvre cendré bien affiné, ou un fromage à croûte lavée cendré ? Ou alors un dessert comme une forêt noire, une mousse au chocolat, un dessert au café, ou tout simplement une tablette de bon chocolat noir. Ou rien du tout, si ce n'est dans un fauteuil le soir avec un bon bouquin (avertissement : le lendemain, vous n'êtes pas assuré de vous souvenir de ce que vous avez lu la veille...).

Petit rappel pour ceux qui veulent en savoir plus sur la Brasserie Sainte Cru : 
14 rue Denis Papin
68000 Colmar
06 74 10 67 81

mardi 7 août 2018

Basket Case, étrange melting pot

Voici venir la Basket Case, petite bière sympa produite par la Bossuwé Brewing Company. Il s'agit, selon l'étiquette, d'une ISA ou Indian Summer Ale. Sacré charabia, non ? Eh bien on n'est pas au bout de nos surprises. En effet, cette bière au nom à consonance anglophone venue d'une brasserie au nom à consonance plutôt africaine, est en fait... belge. Il s'agit de l'un des souvenirs que j'ai ramenés de mon dernier voyage du côté du plat pays. 

Elle est de fait brassée à Kortrijk, Courtrai pour les francophones peu habitués à la transformation flamande des noms de ville. Alors, pourquoi Bossuwé ? Pourquoi Bewing Company et non pas Brouwerij ? Pour Bossuwé, allez savoir... Pourquoi Brewing Company ? Parce qu'il semble, d'après mes observations, qu'il soit de plus en plus courant d'appeler sa brasserie "Brewing Company" plutôt que "Brasserie", y compris en France. j'ai aussi pu l'observer en Espagne, ou encore en Italie... Est-ce que cela fait plus branché de copier Américains et Anglais ? Bref, concernant la Bossuwé Brewing Company, c'est plutôt un bienfait, et cela dénote une ouverture d'esprit un peu plus importante chez ses brasseurs que chez d'autres brasseurs flamands. Beaucoup de ces derniers s'évertuent effectivement à écrire en flamand uniquement, rejetant toute autre langue alors qu'ils vivent dans un pays multilingue. À la Bossuwé Brewing Company, on écrit Anglais, Flamand, Français et allemand, excusez du peu... 

Et cette ISA, est-ce une IPA ou Indian Summer Ale est-il un style à part entière que je ne connaîtrais pas ? Ce ne serait pas étonnant, les styles et sous-styles sont tellement nombreux aujourd'hui... Est-ce une IPA, auquel cas on pourrait l'appeler Indian Summer Pale Ale. Est-ce un sous-style d'IPA ? Diffcile à dire. Toujours est-il qu'après quelques menues recherches, j'ai constaté qu'il ne s'agit pas de la seule brasserie au monde à "classer" l'une de ses bières sous le nom d'ISA. Je sais aussi qu'elle a été brassée durant l'automne 2017 et qu'elle est dry-hoppée ou houblonnée à sec. Alors cet étrange style serait-il celui d'une IPA qu'on ne pourrait brasser que l'automne, durant l'été indien ? Que de questions ! Questions auxquelles les brasseurs répondront peut-être mieux que moi...

Et que dire de "Basket Case" qui, dans la plupart des traductions que j'ai pu trouver, se rapporte à l'expression "cas désespéré" ? 

Quoi qu'il en soit, on semble être face à un sacré mélange de cultures avec cette Basket Case, ISA brassée à la Bossuwé Brewing Company de Kortrijk/Courtrai...

Toujours est-il qu'elle est brassée à partir de malts Pils et Pale Ale, alliant saveurs de pain frais, biscuit, miel, fruits confits... Pour l'assaisonnement, ce sont les houblons Colombus et Bramling Cross qui sont ajoutés. Le colombus est un américain aromatique et/ou amérisant, caractérisé par des notes d'agrumes et d'épices. Le Bramling Cross est un britannique, paraît-il privilégié pour le houblonnage à sec (ou dry-hopping), caractérisé par des notes de fruits frais (ex : cassis) et de citron. Et c'est bien ce dernier qui a été utilisé en dry-hopping pour la Basket Case. De fermentation haute, elle est refermentée en bouteille et titre ainsi 6 % de teneur en alcool, ce qui en fait une bière semi-forte. On la dégustera idéalement, à mon humble avis, aux environs de 7 à 8° C.

La Basket Case

Que vient faire ce singe sur l'étiquette ? Encore une autre étrangeté...
Au visuel, elle se pare d'une jolie robe ambrée légèrement voilée, aux reflets ambre foncée à cuivrés. Elle se coiffe d'une tête de mousse blanc cassé fine et compacte, parsemée de grosses bulles. Bien collante en larges morceaux de dentelles, elle persiste bien en un fin col.

Au nez, elle laisse s'échapper des arômes fruités avec des bouffées d'agrumes sympathiques pour commencer, accompagnées de notes florales et épicées prononcées, ainsi que de touches biscuitées très légèrement caramélisées.

En bouche, l'attaque est bien effervescente, qui donne sur un corps sec, vif et puissant. Ses saveurs sont fruitées, sur les agrumes entre orange et pamplemousse. Le malt se fait sentir aussi avec ses tons biscuités. Un bouquet ponctué par de belles notes florales et épicées avant une amertume suffisamment prononcée pour être désaltérante, sans être trop envahissante avec son caractère mêlant notes herbacées et de pamplemousse. Elle persiste bien dans la bouche.

L'étrange melting pot que constitue cette bière sympathique, du nom de la brasserie à son style en passant par son propre nom est déjà séduisant et intrigant. Le breuvage que renferme la bouteille est lui aussi plutôt séduisant : sécheresse et vivacité rafraîchissantes ; amertume désaltérante ; saveurs agréables plutôt portées sur les notes fruitées, florales et épicées ; le malt biscuité ne se fait pas oublier. Tout cela pour un ensemble que les brasseurs qualifient de "vaguely English Golden Ale" mais qui n'a rien à envier à une bonne IPA classique. On pourrait l'accompagner de fromage aux fortes saveurs comme un vieux Comté ou du Langres, voire un morceau de Fourme d'Ambert. Ou, par fortes chaleurs, une salade de chèvre frais. Ou encore une salade de fruits bien fraîche mêlant fruits de chez nous et fruits exotiques.

Petit rappel pour ceux qui veulent en savoir plus sur la Bossuwé Brewing Company : 
Bossuwé Brewing Company
Engelse Wandeling 2 k8k
8500 Courtrai
0032 494 54 05 36
0032 479 13 26 29