dimanche 1 novembre 2020

La Nation'Ale par Belenium

    Il n'y avait peut-être pas de pire moment que celui du retour de cet ubuesque confinement pour présenter cette bière, symbole de l'optimisme que nous avons beaucoup trop tôt affiché à la fin du premier confinement au printemps dernier... Et pourtant, c'est bel et bien dans ce moment que je me charge de vous en faire la présentation, tout du moins celle brassée par la Brasserie Belenium, de Beaune en Côte-d'Or. Ce sera comme un pied de nez au coup du sort qui fait que la mise en circulation de cette bière démarre presque simultanément avec la très périlleuse décision de re-cloîtrer chez elle une grande partie de la population.

    L'inquiétude que je ressens pour toute la filière brassicole artisanale, et en particulier pour nombre de brasseurs que j'apprécie, dont certains sont même devenus des amis au fil du temps, fait que je n'ai pas vraiment le coeur ni la motivation de me lancer dans des explications sur le pourquoi et le cahier des charges de cette bière collaborative et solidaire de dimension nationale. Je vais donc bêtement m'en tenir à la version du Syndicat National des Brasseurs Indépendants (ou SNBI pour les intimes) :

    "Toujours dans l’objectif de soutenir ses adhérents et les aider à développer leurs ventes, le SNBi a eu l’idée de lancer une Collab’ avec ses adhérents … une bière collaborative, bière de récolte au houblon frais, appelée la Nation’Ale.

Qu’est-ce qu’une collab’. … c’est tout simplement plusieurs brasseries qui décident de créer ensemble une bière originale, souvent brassée une seule et unique fois.

Ce sont plus de 140 brasseries qui ont souhaité faire partie de cette aventure unique, avec aussi quelques brasseries non-adhérentes.

La bière au houblon frais est une bière de récolte, c’est à dire que les fleurs de houblons sont utilisées par le brasseur juste après la cueillette, sans être séchées ni conditionnées. Cette bière unique permet ainsi de révéler le parfum végétal et la fraîcheur de la plante, en provenance directe de la houblonnière.

Cette collaboration permettra de promouvoir le savoir-faire des brasseries indépendantes, et leurs liens avec la production locale de houblons, voire de céréales."

    [...]

    "La réalisation de cette bière collaborative, c’est avant tout un joli moment de partage entre les brasseurs et le plaisir de proposer au consommateur une bière fabriquée à plusieurs avec les idées recettes de chacun.

Vous l’aurez compris, cette bière portera le même nom partout en France avec un graphisme commun, mais une recette différente selon les régions.

Selon les brasseries, elle sera disponible dans les magasins de proximité, chez les cavistes, en GMS et bien sûr chez les brasseurs."

(Source : Communiqué de presse du SNBI, 27 août 2020, www.brasseurs-independants.fr)

    Ceci étant posé, qu'en est-il de la Nation'Ale par Belenium ? Si je devais lui donner un style, j'opterais pour celui de pale ale, style de bière fraîche et légère en général, avec une bonne dose de houblon, mais sans amertume excessive. Le houblon frais utilisé pour cette première est de la variété Cascade, cultivé et récolté à la Houblonnière du Château. Celle-ci appartient et est exploitée par Adrien Darphin, agriculteur à Corberon, petite commune au Sud-Est de Beaune. De fermentation haute et refermentée en bouteille, elle titre 5.6 % de teneur en alcool, dans la même lignée que toutes les bières brassées chez Belenium. On la dégustera plutôt fraîche, autour des 6-7°C.


La Nation'Ale par Belenium


    Au visuel, elle arbore une robe ambrée voilée, aux reflets cuivrés et se coiffe d'une tête de mousse blanc cassé épaisse et compacte mais vive et vite atténuée. Elle laisse de longues et larges dentelles peu collantes. Persistante en un anneau le long du verre.

    Au nez, les arômes sont bien perceptibles. Ils mêlent notes florales et légèrement terreuses, épicées, et fruitées évoquant les agrumes, l'abricot.

    En bouche, l'attaque est vive, de texture légère et plutôt sèche. Le corps est léger lui aussi, mais quelque peu acidulé. Il développe des saveurs vives et florales d'abord, puis évolue là aussi vers les agrumes (orange, clémentine), et l'abricot toujours. La finale est doucement épicée et agrémentée d'une très légère amertume herbacée. Persistance épicée et notes florales et fruitées en rétro-olfaction.

    On retrouve bien la patte Belenium dans cette Nation'Ale avec de la fraîcheur, de la légèreté, cette mousse compacte... Le houblon frais Cascade ajouté lui donne une certaine particularité végétale et fruitée. Une bière apéritive, à consommer pendant votre confinement avec des amuses-bouches légèrement épicés. On a du mal à croire, dans les circonstances actuelles, que cette idée et que le brassage de cette bière collaborative nationale aient été lancés dans un moment où l'optimisme reprenait toute sa place dans nos têtes et dans la filière brassicole artisanale... Enfin, comme j'ai dit plus haut, prenons la comme un pied de nez à ce nouveau coup d'arrêt, et comme un motif d'espoir...

Force restera à la bière ! 💪🍺

    Petit rappel pour ceux qui veulent en savoir plus sur Belenium : 
Et Belenium est bien sûr aussi à suivre sur Facebook.

Lire aussi, sur la même brasserie : 


jeudi 24 septembre 2020

Une Potion de caractère

    Comme il y avait longtemps que je ne m'étais pas manifesté, et qui plus est longtemps que je ne vous avais pas barbés avec les compères de la Brasserie La Roteuse, eh ben me revoilà ! Et avec une nouvelle réalisation des compères susnommés ! Mais rassurez-vous, je n'ai malheureusement pas la possibilité d'être trop long, donc vous ne devriez pas passer trop de temps sur cette bafouille.

    N'ayant pu aller les voir depuis quelques semaines, j'ai appris inopinément sur la face du bouc qu'ils avaient lancé une nouvelle Potion. Vous savez bien, cette gamme à part de bières éphémères qu'ils ne vendent qu'à la brasserie. Elle était si bonne que, d'après leurs dires, même E.T. ne voulait plus téléphoner maison pour rentrer sur sa planète après l'avoir goûtée. Voilà qui était intrigant... C'était le moment de passer outre mes petits soucis et de retourner les voir. 

    J'ai donc bravé ma peur panique de la corona-merde qui tourne en ce moment, y suis allé masqué, ganté, et revêtu d'un scaphandre, suis resté à dix mètres d'eux en criant pour leur parler et ai bien évidemment désinfecté mes mains avant de prendre le verre qu'ils me tendaient à l'aide d'une perche et, bien entendu, j'ai désinfecté ce même verre à l'aide d'une lingette que j'ai tout aussi évidemment en permanence sur moi, avant de le porter à mes lèvres via une petite ouverture dans mon scaphandre au niveau de la bouche. Une fois passé le goût un peu dégueulasse du désinfectant de la lingette, j'ai trouvé que ce qu'il y avait dans mon verre valait le coup d'être venu... C'était la Potion en question ! Ils me l'avaient dit, mais mon respect des distances de sécurité et mon scaphandre m'avaient empêché de comprendre...

    J'ai décidé, une fois encore, de braver ma peur et d'avancer d'un mètre pour mieux comprendre ce qu'ils me criaient. ce breuvage était vif, léger, rafraichissant, fruité et terminé par un côté épicé légèrement piquant. Il s'agit d'une IPA avec ajout de grosses quantités de houblon alsacien en dry hopping.

    Elle se base sur le brassage de 100 % de malt blond Pilsen. Concernant le houblonnage, Antoine et Baptiste ont utilisé le houblon américain Nugget, amérisant aux notes herbacées notamment avec des arômes herbeux, et d'autres résineux (pomme de pin), floraux, épicés (gingembre). Comme amérisant, il est celui qui est ajouté le plus tôt, au début de la phase d'ébullition du moût. Au cours de l'ébullition, a aussi été ajouté le houblon expérimental GR50 (association entre un plan femelle de Cascade et un plant mâle de Strisselspalt), plus aromatique avec ses notes fruitées de melon, ananas, citron et autres fruits de la passion. Enfin, en dry hopping, donc pendant la maturation de la bière, une grosse quantité du houblon alsacien Elixir a été ajoutée. Ce houblon aromatique est issu du croisement entre les houblons strisselspalt et Cascade d'Alsace, mis au point par le Comptoir Agricole. Il développe des arômes floraux, de fruits tropicaux, d'agrumes, boisés. De fermentation haute et refermentée en bouteille, cette IPA titre 5 % de teneur en alcool. On peut la boire fraîche, aux alentours des 6-7° C.

La Potion IPA


    Au visuel, elle se pare d'une robe blonde au léger trouble et aux reflets dorés. Elle se couvre d'une tête de mousse blanche vive et abondante, aérée, bien collante en longues et fines dentelles, persistante en un épais col.

    Au nez, elle dégage des arômes relativement discrets, aux caractéristiques végétales, fruitées et épicées. On distingue des notes herbacées, fruitées d'agrumes, enfin épicées évoquant le poivre et le gingembre.

    En bouche, l'attaque est vive et sèche, suivie d'un corps puissant et sec, qui s'arrondit ensuite d'une fine et légère note sucrée. Il développe des saveurs de céréales panifiées à biscuitées, équilibrées par des notes d'agrumes plus vives. Rapidement des notes épicées marquées prennent le relais, évoquant là aussi un mélange poivre-gingembre pour un peu de piquant accompagnant une tranchante amertume herbacée bien persistante. La rétro-olfaction, bien perceptible, mêle notes céréalières, épicées et herbacées.

Une bière légère donc, dans laquelle des équilibres se mettent en place : la sécheresse de l'attaque équilibrée par la note sucrée et fruitée progressivement apportée par le corps ; en fin de bouche, l'amertume et le caractère épicé rivalisent sans pour autant se départager. Sa fraîcheur et sa vivacité en font un bon breuvage de détente en fin de journée ou pour l'apéro, accompagnée d'amuses-bouches légèrement épicés.

Petit rappel pour ceux qui veulent en savoir plus et suivre la Brasserie La Roteuse : 

jeudi 14 mai 2020

En visite à La Kanopée

Il était temps ! J’ai enfin honoré une promesse faite il y a plus d'un an : celle de me pointer à Pont-de-Pany, dans la vallée de l'Ouche, pour y visiter la Brasserie La Kanopée, parmi les dernières arrivées sur la scène brassicole côte-d'orienne. Il était temps car cette brasserie a bouclé sa première année d'existence, le 25 mars dernier. Avec un peu d'avance, son premier anniversaire a d'ailleurs été célébré tout début mars. Une belle intuition en regard de ce qui nous est arrivé sur la figure par la suite... Enfin bref ! Donc depuis un an, discrètement mais sûrement, elle s'est fait une place dans le paysage brassicole du département et de la région. Alors il était temps !

Une histoire de famille

La Kanopée, c'est tout d'abord une histoire familiale. Certes la première personne à laquelle on pense lorsque l'on parle de La Kanopée, c'est bien sûr son brasseur, Thierry Kniebihler. Mais il y a en fait six personnes qui se sont lancées dans l'aventure avec lui : son épouse, sa fille, ses deux fils, ainsi que les conjoints de sa fille et de l'un de ses fils. Seul Thierry y travaille à plein temps, mais chacun apporte sa pierre à l'édifice à sa façon, à l'image de l'un de ses fils qui a conçu les étiquettes des bouteilles, colorées et élégantes.

Après avoir travaillé durant 25 ans dans l'agroalimentaire chez Nestlé, ainsi que comme responsable technique dans des domaines viticoles de Chagny à Carcassonne, Thierry s'est retrouvé au chômage. Se posait donc, bien évidemment, pour lui comme pour ses proches, la question de ce qu'il allait bien pouvoir faire pour en sortir. Or, il se trouvait que Thierry brassait en amateur depuis un certain temps. Tout avait commencé avec un simple kit de brassage reçu en cadeau, qui lui a permis de commencer avec des recettes toutes faites. Et ce qu'on appelle parfois le "virus du brassage" s'est emparé de lui, le poussant à faire ses propres expériences, élaborer ses propres recettes, augmenter les quantités pour en faire profiter plus de monde autour de lui. Une histoire devenue un grand classique du genre, somme toute. Et au moment où se posa la question de son avenir, quatre recettes étaient justement presque stabilisées. La réponse à la question s'imposait d'elle-même...

Une gestation d'un an


Ainsi a débuté l'aventure. Thierry et ses proches (et désormais associés) ont décidé de se lancer dans l'élaboration de ce projet. Elle débuta donc fin-2017.
Classiquement, cette élaboration impliquait la recherche de financements, celle d'un local adapté, la réflexion sur le meilleur matériel à adopter... Bref, des trucs assez peu ragoûtants, mais par lesquels il faut bien passer. Mais la période a aussi été jalonnée d'instants plus sympas, comme la visite de plusieurs brasseries à Clermont-Ferrand, Narbonne, ou encore en Normandie. Elles ont été autant d'occasions d'échanges et de prises de conseils, notamment sur les erreurs à ne pas faire lorsque l'on monte une brasserie. Cela a aussi été l'occasion d'un petit séjour de perfectionnement à l'Institut Français de la Brasserie et de la Malterie (IFBM pour les intimes), en particulier pour fixer les bases, les paramètres de départ, la marche à suivre... "J'ai reçu énormément de conseils à l'IFBM", m'a affirmé Thierry, qui m'a confié y retourner régulièrement pour des journées de formation à thèmes, et pour ne pas perdre le contact avec les gens qu'il y a rencontrés.
Petit à petit, le projet a fini par se concrétiser, avec en particulier la location du local actuel, en novembre 2018. À partir de là, ont commencé toute une série de travaux d'aménagement, en particulier de la salle de brassage, ainsi que de la petite salle attenante à la brasserie, destinée à accueillir les clients désirant se désaltérer.

La brasserie en photos


On entre par la petite salle accueillant le public : quelques tables, un comptoir, pour une ambiance cosi et détente...



La visite commence avec la salle où sont entreposées les matières premières, et où Thierry s'occupe de moudre ses céréales au moulin du fond.

Juste à côté se trouve la salle des stocks, où quilles et fûts attendent de trouver preneur.

Au centre du local, se tient la salle de brassage, juste sous une ouverture pratiquée dans le toit du local, de façon à apporter de la lumière naturelle, ainsi qu'à évacuer facilement le trop-plein de vapeur lors des phases d'ébullition.

Contre le mur de la salle de brassage trônent les fermenteurs.

Et au bout de la chaîne, se trouve l'étiqueteuse-embouteilleuse-capsuleuse, ligne issue du milieu viticole et réadaptée à la brasserie par les bons soins de Thierry.

Un ancrage local

Forte de cette unité de brassage plutôt modeste, la Brasserie La Kanopée revendique un ancrage local, rayonnant dans la Vallée de l'Ouche et jusqu'à Dijon. «On ne verra pas de bières de La Kanopée à Lille, Paris ou Lyon !», s'amuse Thierry. Les canaux de distribution sont divers, à commencer par la vente et la consommation sur place. Enfin, ça c'était avant l'irruption de la corona-saloperie... La conso sur place, on n'y pense plus pour le moment, et la vente sur place se limite au retrait en drive de commandes faites en ligne. On trouvera aussi La Kanopée dans le réseau «La Ruche qui dit oui !». Enfin, bien évidemment, dans pas mal d'épiceries fines de la région environnante et chez certain cavistes.
Une brasserie qui se veut locale jusque dans ses représentations et son nom. De fait, ses étiquettes colorées représentent des animaux de la forêt bourguignonne. Et la brasserie et son environnement immédiat étant entourés de bois et forêts, il paraissait presque naturel de la baptiser de ce nom évoquant l'éco-système formé par la cime des arbres forestiers. Le «K» de Kanopée n'est pas une grossière erreur d'orthographe, que l'on se rassure ! Il n'est destiné qu'à rappeler que la brasserie fut fondée par la famille Kniebihler.

Et l'avenir ? Euh...

La conclusion paraîtra bizarre, mais qu'est-ce qui n'est pas bizarre en ces temps où l'on se demande de quoi sera fait l'avenir. C'est pourquoi, je ne m'attarderai pas sur d'éventuels objectifs que pouvait se fixer La Kanopée. Depuis la mi-mars, l'unique objectif est très certainement de limiter au maximum les dégâts d'une économie et d'une consommation mises à l'arrêt et hors du temps.
Mais Thierry et sa famille n'ont pas arrêté de travailler pour autant. Le contraire eût bien évidemment été encore plus désastreux. Comme j'ai pu le dire plus haut, les ventes ont continué malgré le confinement, par d'autres biais adaptés aux nécessaires «mesures barrières», comme ont été appelées certaines restrictions de nos libertés. Mais, à l'image de pas mal de ses confrères, Thierry a continué à faire marcher sa créativité avec la mise au point récente d'une nouveauté : une IPA brute.

Alors la seule conclusion qui s'impose est d'apporter mon soutien à la brasserie et à toute la famille face à la difficulté du moment. Tout comme je l'ai fait pour nombre d'autres brasseries d'ici et d'ailleurs, via la page Facebook de «Secrets de Bières». Et nul doute que, fidèle à sa philosophie, La Kanopée table déjà avec espoir sur la tendance, qui s'accroît, à consommer local, pour rebondir. La Corona-saloperie aura, espérons-le pour tous les artisans-brasseurs, eu ça de positif sur les façons de consommer.

Force restera à la bière !

Brasserie La Kanopée
Hameau de Pont-de-pany
255 rue de la Gare
21410 Sainte-Marie-Sur-Ouche
contact@la-kanopee.com
06 99 55 83 74
Horaires à consulter sur le site ou sur la page Facebook de la brasserie.


lundi 20 janvier 2020

Ammonite, un Ovni dans le monde brassicole

Et allez, c'est reparti, il déraille de nouveau ! V'là qu'il nous parle d'Ovni maintenant ! Mais non, je ne suis pas en train de dérailler ! Je suis allé, pas plus tard qu'il y a quelques jours, visiter la Brasserie Artisanale Ammonite, qui a fait pas mal parler d'elle récemment dans le petit monde des passionnés et autres geeks de la bière, et ce bien au-delà des frontières de son berceau bourguignon. Elle est basée à Sennecey-le-Grand, en Saône-et-Loire, entre Tournus et Chalon-sur-Saône, et a été lancée en mai 2019 par Simon Lecomte. Et si l'on parle d'Ovni pour la brasserie, ce dernier peut être inclu dans le lot. En espérant qu'il ne me tiendra pas rigueur de parler de lui aussi comme d'un Ovni.

Commençons d'ailleurs par Simon lui-même ! Nous nous sommes rencontrés par hasard au... rayon bières d'Hyperboissons, magasin où je travaille. Il cherchait des «drôleries d'Anderlecht», comme il me semble l'avoir déjà entendu parler des produits de la vénérable brasserie bruxelloise Cantillon. Il y a déjà quelque chose d'assez «ovniesque» dans cette façon de qualifier ainsi les bières de cette authentique et centenaire brasserie de lambics, qui pourrait faire hurler plus d'un adorateur de celle-ci. Mais ça peut donner une petite idée du personnage, pas contre le fait de bousculer certaines choses... Bref, malheureusement pour lui, il n'y en avait pas, pas encore. Mais cette recherche des petites merveilles de Cantillon nous a amenés à discuter. Et il a fini par me révéler que c'était lui qui avait lancé la Brasserie Ammonite, dont on commençait doucement à entendre parler. J'en ai profité pour lui révéler que j'étais derrière la page Facebook «Secrets de Bières», qui avait déjà partagé et diffusé certaines de ses publications. Ce qui nous a forcément amenés à sympathiser et discuter davantage.

Simon est un personnage volubile et haut en couleurs, qui semble avoir déjà roulé sa bosse dans pas mal de domaines, du vin aux spiritueux. Il donne des cours à la «Viti» de Beaune, a travaillé dans la vinification pour plusieurs domaines bourguignons, se passionne pour les spiritueux jusqu'à donner de temps en temps des masterclasses. Cependant, jusqu'à il y a quelques années, il m'a confié qu'il connaissait très peu la bière. Si peu qu'il m'a parlé de son grand étonnement, voire de sa difficulté à concevoir qu'on pouvait faire fermenter un jus avec autre chose que des levures naturelles. Autrement dit par ajout de levures mises au point par l'humain. Ovni, on vous dit ! 

C'est ainsi, à ce que j'ai compris, qu'a commencé son voyage dans le monde de la bière. Il a dégusté de nombreux styles, jusqu'aux plus gros «pétroles» comme il appelle les barley wines et autres imperial stouts. Mais ce sont les «drôleries d'Anderlecht» qui ont été la révélation, m'a-t-il encore confié. Ces bières qui fermentent à partir de levures sauvages, venues se poser directement dans le moût mis à refroidir dans cette mythique cuve ouverte à fond plat, trônant à tout vent juste sous les toits de la brasserie. Et qui fermentent et maturent ensuite des années durant en fûts. C'était décidé : il ferait de la bière de fermentation spontanée, ou sauvage, de la wild ale ou, pour coller à l'actuel langage new wave of brewers, de la sour ale. Mais d'un genre bien particulier...

Simon, à l'instar des fabricants de lambic, se sert de levures sauvages pour faire fermenter son moût, mais pas celles qui se trouvent dans l'air ambiant. Il se sert de celles qui se trouvent dans les fûts de vins rouges et blancs qu'il récupère dans de nombreux domaines viticoles de son réseau. Il y verse tout simplement son moût brassé et laisse faire les levures présentes dans les fûts. Et là où les brasseurs de sour ales déploient des trésors d'ingéniosité pour sortir des recettes toutes plus imaginatives les unes que les autres, Simon se sert de la même recette pour toutes ses cuvées : 90 % de malt Pils et 10 % de malt Pale brassés sans être passés à ébullition. Les levures présentes dans les fûts font le reste, d'abord avec bonde ouverte durant trois semaines, avant fermeture du fût. Elles acidifient d'abord le moût, avant d'ingérer le maximum de sucres, ordre inverse de ce qui se passe chez les producteurs de lambic. Il pousse même l'opération plus loin avec ses cuvées «Vendanges» issues de la fermentation de son moût sur des cerises griottes ou baies de cassis venues de son verger. Le procédé semble faire bondir certains brasseurs, mais Simon y croit dur comme fer.

Mais où et comment cela se passe-t-il en pratique ? C'est ce dont je suis allé me rendre compte sur place.

Simon m'a donc accueilli chez lui et montré le lieu où tout se joue. Il a installé son matériel de brassage et ses fûts dans une vieille grange datant des 16e-17e siècles. La propriété est construite aux abords d'une source où il puise son eau de brassage. Simon réalise deux brassins de 200 litres par mois en respectant le calendrier lunaire. Chaque brassin est ainsi versé dans un seul fût. La place lui manquant, il ne peut en faire plus pour l'instant. Pour le reste, il surveille ses fûts de très près, dégustant régulièrement ses produits afin de contrôler leur évolution et de savoir quand ils arriveront à maturité, à mi-chemin entre bière et vins pétillants non-dosés. Et c'est là qu'on peut le qualifier d'Ovni : non seulement il voit et pratique le brassage et la fermentation à travers les yeux d'un vinificateur, mais il se sent aussi davantage maître de chais, en évoluant ainsi à travers ses fûts. Mais aussi comme un blender.

De fait, sa cuvée «permanente» - si tant est que l'on puisse utiliser ce terme, tant sont limitées les quantités - qu'il a appelée Symphonie - Le Grand Assemblage est issue du mélange de bières fermentées en fûts de vins rouges et de bières fermentées en fûts de vins blancs. Je vous renvoie à la fin de cette bafouille ou à la page Facebook Secrets de Bières pour une description de la première Cuvée Symphonie que j'aie pu déguster. À savoir qu'à l'instar des producteurs de gueuze, même si Simon fera le possible pour obtenir un mélange conforme à ses prédécesseurs, aucune Cuvée Symphonie ne ressemblera trait pour trait à ses devancières, ni à celles qui la suivront. Et ce n'est qu'à force de contrôles réguliers qu'il peut y arriver. Mais ce n'est pas tout, loin s'en faut. Ces contrôles et dégustations réguliers lui permettent aussi trouver des fûts qui sortent du lot, et qu'il décidera de ne pas «blender» pour en faire des cuvées Single Cask qui porteront le nom du vin qu'a donné le fût dans lequel elles auront fermenté. J'ai pu déguster, sans encore pouvoir prendre le temps d'en faire une fiche, la cuvée single cask fût de Vougeot, dont je retiens une acidité prononcée, ce que Simon appelle de la tension. Il serait intéressant de me pencher dessus avec un peu plus de temps. Mais j'ai aussi pu découvrir, lors de mon passage, une autre cuvée destinée, elle aussi, à devenir single cask, fermentée et maturée 21 mois en fût de Viré-Clessé. Et d'autres aussi, sorties d'autres fûts encore en cours de maturation, dont on parlera en temps voulu... Il y a aussi, en volumes minuscules, les cuvées d'exception Hopus et Equinoxe, dont il sera toujours temps pour moi de reparler plus tard (ceux qui sont arrivés à ce stade du texte sans passer à autre chose, s'endormir ou m'insulter sont déjà très forts !). De tout cela, une chose est certaine, chaque cuvée sortie équivaudra à une nouvelle surprise, bonne ou mauvaise, selon les goûts, qui sont tous dans la nature, paraît-il...

Il convient de se rappeler que ses produits sont des raretés qui ne se trouvent qu'au nombre de quelques centaines, à peine, de bouteilles 33, 37.5 et 75 cl. Et les cavistes ne peuvent y accéder que sur allocation. Par exemple, sur Dijon, vous ne les trouverez que chez Bières des Terroirs, à La Cervoiserie et chez nous à Hyperboissons. Et encore, pour Hyperboissons, a-t-il fallu l'insistance de mon collègue Grégory, habitué à négocier des allocations pour le rayon vins. C'est dire s'il faut se lever tôt pour déguster les cuvées de l'Ammonite, l'Ovni du monde brassicole...

Ses projets pour l'avenir ? Continuer les travaux dans sa vieille grange afin de dégager de l'espace et construire une plate-forme en hauteur afin d'y installer une cuve ouverte à la manière des brasseries de lambic. Mais aussi passer à 10 hecto par mois et monter un système de solera. Ou encore investir dans une étiqueteuse. À suivre...

Une partie des fûts de fermentation avec, trônant parmi eux, l'ammonite...

Simon dans ses oeuvres...

La Cuvée Symphonie - Le Grand Assemblage


Il s'agit donc d'un «blend» de bières de fermentation spontanée en fûts de vin rouge (pour les unes) et de vin blanc (pour les autres), donc à partir des levures présentes dans ces fûts (aucun ajout). 4,8 % de teneur en alcool. Un breuvage léger donc, à déguster frais, autour des 5-6° C.

- Robe blonde très pâle, trouble important ; mousse blanche vive et éphémère, ce qui est normal pour ce type de bière.

- Arômes prononcés : fruits à chair blanche acidulés ; notes florales marquées ; touche terreuse.

- Attaque vive et sèche ; corps sec et puissant ; fortes notes acidulées aux saveurs de pomme et raisin ; fortes notes florales là aussi ; évolution sur un caractère vineux, presque vinaigré en fin de bouche ; très légère amertume herbacée ; forte astringence ; rétro-olfactif acidulé et floral.

Une bière des plus particulières, comme toutes les bières de fermentation spontanée. Une expérience à faire. À ne pas mettre, cependant, dans la bouche du premier venu sans avertissement préalable...

Pour info :
Brasserie Artisanale Ammonite
2 rue du Château
71240 Sennecey-le-Grand
Sur Facebook : Brasserie Artisanale Ammonite.

lundi 9 décembre 2019

Episode de chaleur chez Elixkir

Amélia et Guillaume, de la Brasserie Élixkir (Quétigny, 21), ont une fois de plus laissé voguer leur imagination assez loin, la laissant atterrir en partie dans un pays chaud (à plus d'un titre...) pour y recueillir l'un de ses produits. Et ce pour agrémenter un style de bière traditionnel, plutôt chaleureux, servant à se réchauffer et se réconforter dans un pays beaucoup plus frais.

Ce dernier style n'est autre que le porter, né en Angleterre au XVIIIe siècle. Pour un retour explicatif sur ce style de bière brune aux notes torréfiées et chocolatées, je vous renvoie à la définition que j'en donnais il y a presque trois ans, déjà dans une bafouille consacrée à l'une des créations des deux petits prodiges d'Élixkir : L'Élixkir Porter, un autre style historique.

Le porter qui fait l'objet de la présente bafouille a été brassé de façon plutôt traditionnelle, à base d'une majorité de malt d'orge pâle pour amener la quantité voulue de sucres fermentescibles, et de malts torréfiés amenant sa couleur et une grande partie de ses saveurs à la bière. S'y sont ajoutés des flocons de seigle, destinés à «apporter un peu de texture (le seigle étant riche en protéines), et un final épicé qui se marie bien avec les bières noires» (dixit Guillaume). Sa fermentation vient d'une levure d'ale anglaise classique, de fermentation haute qui a la caractéristique d'être «relativement neutre» avec un «très léger ester à l'Anglaise : fruits rouges/noir» (re-dixit Guillaume).

La grande particularité de ce porter est contenue dans son nom, que je n'ai pas encore cité, comme ceux qui suivent s'en sont sans doute rendus compte. Cette nouvelle création de la Brasserie Élixkir s'appelle Chipotles Porter. C'est quoi "Chipotles" ? Merci de poser la question ! Moi-même, lorsque Guillaume m'avait annoncé il y a déjà quelque temps l'arrivée de cette nouveauté, j'avais ouvert des yeux ronds... Les Chipotles sont en fait des piments mexicains jalapeños séchés et fumés, qui se révèlent ainsi plus forts que les jalapeños "natures". Les chipotles font partie des éléments incontournables de la culture culinaire mexicaine. Ils exhalent un parfum fumé (forcément...), de noix et chocolaté, et dégagent évidemment une certaine dose de piquant en bouche. Pour ce Chipotles Porter, les piments ont été ajoutés lors de la fermentation. C'est-à-dire après l'ébullition et à froid. Ce qui leur a permis de laisser s'exprimer leurs arômes au maximum (dixit Guillaume encore une fois !).

Enfin, ce porter, de fermentation haute donc et refermenté en bouteille titre 5,3 % de teneur en alcool. Ce qui en fait une bière légère, que je conseillerais bien de consommer dépourvue de trop de fraîcheur, aux environs de 8-10°C.


Au visuel, elle offre à nos yeux une robe brun foncé aux reflets acajou, surmontée d'une coiffe brun clair, collante en petits morceaux de dentelles, persistante en un fin voile.

Au nez, elle révèle des arômes mêlant chocolat noir et torréfaction, équilibrées par des notes fumées bien perceptibles, ainsi qu'une pointe épicée aux notes poivrées et de poivron.

En bouche, l'attaque est vive et sèche. Elle est suivie d'un corps sec lui aussi, puissant car relevé dès l'abord d'un piquant bien perceptible qui le rend chaleureux de bout en bout. Le piquant pimenté est dominant mais ne cache pas une torréfaction marquée. Le ton fumé des chipotles (type fumée de feu de bois) plane longuement autour de ce corps chaleureux et puissant. L'amertume grillée de la fin de bouche apparaît discrètement au milieu du piquant et de la chaleur, et se mêle à eux pour une persistance torréfiée, chaleureuse et fumée.

Une bière légère, dont le degré d'alcool ne fera pas grand mal. Mais cela ne l'empêche en rien d'amener puissance et chaleur en bouche. Le piquant poivré pimenté laisse une impression de piquant qui différencie ce porter d'une bière de Noël. Mais cela peut être une variante originale tant pour Noël que pour l'hiver en entier. La chaleur et le piquant mexicains mélangés au flegme britannique avec la patte d'Élixkir : encore une réussite.

Lire aussi, sur la même brasserie :

vendredi 1 novembre 2019

Une Potion qui vous laisse encore plus groggy...

Ils ont remis ça ! Antoine et Baptiste, les compères de la Brasserie La Roteuse, nous ont ressorti très récemment une de leurs éditions limitées vieillies en fût. Ceux qui suivent un peu les petites bafouilles de ce blog doivent avoir la puce à l'oreille à la lecture du titre... Non ? Personne ? Faites un effort : Une Potion qui vous laisse groggy... Toujours pas ? 

Bref ! Cette fois encore, c'est leur triple qu'ils ont fait vieillir en fût de Marc de Bourgogne. De mauvaises langues pourraient laisser entendre qu'il ne sert à rien de réécrire sur une bière déjà décrite dans ces pages il y a un an et demi. Je vais re-préciser directement que les Potions de la Brasserie La Roteuse sont des éditions éphémères, des expériences, et des rééditions de Potions qui ont eu du succès. Et que dans le cas présent, on en est déjà à la troisième édition de la Potion Triple Marc, et qu'aucune n'est pareille aux autres...

Je n'ai pas écrit sur la deuxième édition - oui, vous y avez échappé ! - n'étant pas forcément dans l'esprit à ce moment-là, mais il y a déjà une différence entre la première et la troisième : la bière a maturé dans le fût un mois de plus pour l'édition présente que pour la première édition, trois mois au lieu de deux. Mais tout simplement, il existe difficilement une cuvée de marc de Bourgogne identique à une autre, donc aucun fût tout à fait identique aux autres. Ils ne donneront donc pas tout à fait les mêmes saveurs aux bières, ni même une intensité comparable d'un essai à un autre, les douelles n'étant pas non plus imbibées de la même façon par le précédent contenu. Un point commun tout de même entre ces trois premiers essais : Baptiste et Antoine mettent toujours un point d'honneur à ce que leur bière soit prête à aller maturer dans le fût au moment où ils le récupèrent, et par conséquent à récupérer ce dernier au plus vite une fois qu'il a été vidé. Cela évidemment dans le but de l'empêcher au maximum de commencer à sécher.

Enfin, comme c'est déjà précisé plus haut, il s'agit de la triple de la brasserie qui, soit dit en passant, est passée à la gamme permanente ! Ah, vous saviez déjà.... Bref ! Leur petite triple, dont je ne vous rejouerai pas la composition (à retrouver ici, si vous le souhaitez), titrant 7 % de teneur en alcool à la base, a maturé dans son fût de marc de Bourgogne durant trois mois. Au passage, elle y a gagné quelques points de teneur en alcool, puisqu'à la sortie, avant refermentation en bouteille, elle titrait... 11.35 % ! C'est dire à quel point ce fût là était imbibé... À la sortie, c'est-à-dire maintenant au moment de sa commercialisation, après refermentation en bouteille, elle titre 11.5 % de teneur en alcool. Autant dire la plus forte teneur en alcool des trois éditions. C'est dire comme elle vous laissera encore plus groggy... Une différence là encore entre les trois éditions : aucune n'avait la même teneur en alcool. Mais cela lui donne un point commun avec les deux précédentes : elle est à déguster calmement avec un ou deux potes ou, encore plus calmement, tout seul (moi ? Nooon...), le soir en étant sûr de ne pas bouger de chez soi. Et à température de cave (14-15° C me paraissent pas mal...).

La Potion Triple Marc, troisième du nom ! 

Comme ils me l'ont filée en avant-première, elle n'avait pas encore d'étiquette.

Mais voilà la bouteille officielle, aux couleurs classiques des Potions de La Roteuse.
Au visuel, apparaît une robe ambrée trouble aux reflets ambre claire à cuivrés en remontant vers le haut du verre. Elle se coiffe d'une tête de mousse blanc cassé vive, collante en petits morceaux de dentelles, persistante en un voile.

Au nez, elle dégage des arômes bien perceptibles, aux notes fruitées alcoolisées : le marc de Bourgogne est bien présent dès le début et se mélange aux notes fruitées de la triple : agrumes, fruits jaunes et à chair blanche (mirabelle, pomme) compotés, accompagnés d'une touche de pêche de vigne. Légères notes épicées en arrière-plan.

En bouche, l'attaque est vive et le breuvage affiche d'emblée une belle puissance et la même vivacité que la triple d'origine. Le corps est d'abord doux et fruité avec ces saveurs de pomme, pêche de vigne, agrumes aussi. On évolue ensuite vers plus de chaleur alcoolisée, où le marc complète les notes fruitées, et plus de puissance épicée. On termine sur une amertume herbacée qui avait suffisamment de caractère avant le fût pour résister à la prise de rondeur du breuvage, ainsi qu'à sa prise de puissance et de chaleur alcoolisées. L'amertume persiste même assez longuement, autant que persistent les notes et la chaleur du marc qui s'y mêlent. 

Une bière vive, puissante et chaleureuse à la fois. Elle a gardé la vivacité de la triple d'origine sans devenir trop moelleuse ou liquoreuse. Si elle n'avait pas gagné en puissance du fait de l'apport d'alcool et des notes du marc, on la boirait tout comme celle d'origine, et on serait très surpris à l'arrivée... Mais on sent tout de même assez vite qu'elle dégage un côté chaleureux qui s'apparente bien en revanche à celui des bières d'un taux d'alcool équivalent. Au bout d'une ou deux gorgées, on se rend vite compte qu'il convient de la traiter avec respect... Elle peut se siroter seule le soir au fond du canapé, ou supporter facilement un plat d'hiver riche, mijoté, type bœuf bourguignon ou carbonades flamandes. Pourquoi pas même avec une raclette, ça s'essaie...

Petit rappel pour ceux qui veulent en savoir plus et suivre la Brasserie La Roteuse : 

mardi 22 octobre 2019

Déchiffrer une bière de chez Popihn

Ce que j'entends par ce titre encore une fois un peu loufoque ? Eh bien tout simplement... ce que laisse entendre ce titre loufoque ! Il ne faut pas chercher plus loin...

Qui connaît les bières de la Brasserie Popihn, située à Vaumort près de Sens (Yonne, 89), sait, outre qu'elles sont de belle qualité, qu'elles sont dotées de noms difficiles à déchiffrer pour le commun des mortels. Des noms qui n'en sont pas vraiment en fait, puisque pour tout nom, les étiquettes donnent le style de bière que contient la bouteille. Celle qui est peut-être la bière phare de la brasserie fait partie des exceptions : l'Icauna Pale Ale. Pour la plupart des autres, faut s'accrocher ! Notamment si on n'a pas une certaine connaissance de la "new wave of brewers", comme j'aime appeler la scène brassicole "kraft" branchée d'aujourd'hui, française et d'ailleurs, qui n'a de cesse de réinventer les styles et les termes propres au brassage et à la bière. Même moi qui en ai acquis une relative connaissance que j'essaie d'entretenir, je suis parfois complètement largué !

Bref, un exemple parmi d'autres de chez Popihn est la Kveik IPA Bru-1/Citra, brassée en "collab" avec la Brasserie du Grand Paris. Non, non ! Ne vous frottez pas les yeux, vous avez bien lu, pas d'inquiétude ! Si l'on peut se demander au premier abord quelle langue androïde a été utilisée pour nommer cette bière, il ne s'y trouve rien de sorcier...

Décomposons ! Kveik tout d'abord : quel est ce mot sorti de nulle part ? C'est en fait tout simplement le nom d'une "mystérieuse levure norvégienne". Il s'agit d'une levure traditionnelle de fermentation haute. Très haute, puisqu'elle s'exprime dans de bonnes conditions à près de 40°C, voire plus, ce qui doit bien représenter une quinzaine de degrés au-delà de la température normale d'expression des levures de fermentation haute par chez nous. Fort aromatique, elle diffuse des arômes d'écorces d'orange, et d'autres évoquant le clou de girofle et la muscade (merci Les Coureurs des Boires !). Il s'agit donc déjà d'une bière fermentée, en partie du moins, à la levure kveik.

On ne va pas revenir sur le terme d'IPA, que tout bon amateur de bières artisanales connaît par cœur. S'il y a besoin d'un petit rafraîchissement, il n'y a qu'à cliquer ici et vous trouverez ma définition, une parmi tant d'autres. 

Bru-1 : un code secret ? Ne cherchons pas si loin. C'est juste le nom d'un houblon expérimental, développé à Brulotte Farms, dans la vallée de Yakima (USA) en 2016. Il ressemble aux houblons classiques d'arômes fruités tropicaux, mais les siens sont amplifiés. Ses arômes principaux évoquent l'ananas, la papaye, les fruits tropicaux, les épices... (Merci nanohoublons !). 

Enfin, Citra est le nom d'un autre houblon, bien connu des brasseurs et amateurs d'IPA. Il s'agit de l'un des houblons les plus utilisés pour produire les arômes de ce style de bière. Aromatique, ce houblon américain développe des notes tropicales d'agrumes et de pêche. 

Donc ! La  Kveik IPA Bru-1/Citra Popihn/Brasserie du Grand Paris est une india pale ale fermentée à la levure kveik et houblonnée au Bru-1 allié au Citra. Et comme je l'ai déjà mentionné, c'est ce qui caractérise la majorité des bières de chez Popihn : elles n'ont pas de nom à proprement parler ; elles sont nommées par leur style et leurs houblons et/ou d'autres ingrédients particuliers, ou encore un fût particulier dans lequel elles auraient mûri. Peut-être simplement parce que beaucoup sont des éditions éphémères. La Kveik IPA qui nous occupe ici titre 6.7 % de teneur en alcool après fermentation et refermentation en bouteille. Dégustons-la fraîche, aux alentours de 5-6°C.

La Popihn Kveik IPA Bru-1/Citra


Au visuel, cette Kveik IPA se pare d'une robe blond pâle au trouble important, traversé de légers reflets dorés. Elle se coiffe d'une tête de mousse blanche fine, bien collante en longues dentelles tout le long de la paroi du verre, persistante en un très fin col. 

Au nez, cette tête de mousse dégage des arômes prononcés de fruits exotiques, avec notamment des notes de papaye, de fruits de la passion, citronnées ; touches de clou de girofle et autres épices en arrière-plan. 

En bouche, l'attaque est relativement vive et de texture légère. Le corps sur lequel on débouche se révèle du même acabit, léger, frais et très fruité. Il développe des saveurs exotiques évoquant, là aussi, la papaye et des notes citronnées marquées. La suite est plus épicée et chaleureuse, sur des saveurs de clou de girofle. La fin de bouche  se révèle légèrement amère, bien moins que ce à quoi on pouvait s'attendre. L'accent semble avoir bien davantage été mis sur la fraîcheur fruitée exotique. 

Cette bière est sans doute entourée d'une étiquette qui peut laisser perplexe, mais une fois déchiffrée, tout devient plus clair. Il n'est en tout cas pas compliqué de se rendre compte qu'elle est, comme à peu près tout ce qui sort de chez Popihn, de bonne facture, agréable par son fruité, vive par son côté légèrement épicé, et somme toute facile à boire. D'autant plus qu'on est loin des bonnes vieilles IPA à l'amertume décapante. Ce qui est peut-être la seule chose qui, personnellement, me manque un peu... La salade de fruits exotiques ou le sorbet citron pourraient bien l'accompagner...

Lire, sur la même brasserie :