samedi 6 avril 2019

La Potion Triple Rhum : histoire d'une "collab"

Les fans de la Brasserie La Roteuse et ceux qui suivent l'actualité du magasin Hyperboissons Dijon ont sans doute vu fleurir, sur leur "mur" Facebook, des publications vantant les mérites d'une nouvelle bière en édition limitée. Eh bien cette dernière est le fruit d'une "collab", comme on dit chez les brasseurs "in", d'un genre nouveau.

L'histoire débute au printemps 2018 avec une autre collab : à cette époque débutèrent effectivement six mois de vieillissement d'un rhum caribéen de la Compagnie des Indes, embouteilleur indépendant, dans un fût de Banyuls, fameux vin doux naturel du Sud de la France. Ce fût, placé face à l'entrée du magasin, n'a bien évidemment pas échappé à Antoine et Baptiste lors de leurs livraisons de bières. Ainsi naquit l'idée d'utiliser ce fût, une fois le rhum qu'il contenait embouteillé, pour y faire vieillir une bière. L'affaire fut vite conclue : Hyperboissons céda gracieusement le fût et, en échange, récupéra le privilège de commercialiser une partie des bouteilles de bière qui en seraient issues. Je parle de "privilège" car on a affaire à un fait tout bonnement exceptionnel : ces bouteilles ont été étiquetées dans la gamme éphémère "La Potion", d'ordinaire uniquement disponible à la brasserie. 

C'est donc de cette façon que se mit en place cette collaboration, à laquelle j'ai pu apporter ma (très très trèèèès) modeste contribution en tant que... euh... goûteur... Ben oui, vous vous attendiez à quoi d'autre venant de moi ? Entre la mise en fût de la bière et sa mise en circulation, je suis passé à la brasserie environ toutes les deux semaines - toutes les semaines dans les périodes fastes - pour suivre l'évolution.

Ceux qui lisent de temps en temps mes petites bafouilles savent qu'il y a déjà été question de la Potion triple d'Antoine et Baptiste il y a une bonne année, voire plus. Ceux qui atterrissent pour la première fois sur ce blog (pauvres d'eux !) l'ont peut-être déjà goûtée. Quant à ceux qui abièrissent ici pour la première fois et qui ne l'ont jamais goûtée, je les invite à se rendre chez les compères, où cette triple va désormais être disponible toute l'année. Tout ça pour dire que, comme l'indique mon titre, il est ici question de triple. C'est tout simplement leur Potion triple que Baptiste et Antoine ont mise à vieillir dans ce fameux fût de Banyuls qui a abrité durant six mois un rhum de la Compagnie des Indes. On ne va donc pas se re-farcir la présentation de la triple (pour se rafraîchir la mémoire, suivre le lien ci-dessus ou en fin de bafouille), mais parler un peu du vieillissement. À peine mise en fût, la fermentation est repartie de plus belle, à tel point qu'au début, il s'avérait presque impossible de poser une bonde sur le trou central du fût : dans les heures qui suivaient, elle était par terre. Cette nouvelle étape de fermentation a duré des semaines, à tel point qu'Antoine et Baptiste se demandaient si elle allait s'arrêter un jour. Finalement, ça a tout de même fini par s'atténuer, et la bonde a fini par ne plus faire "pop !". On a commencé à déguster, et longtemps nous nous sommes dit que la puissance était là, mais que l'aromatique avait du mal à se mettre en place. Mais ça a finalement réussi. Une fois embouteillée, il fallut encore patienter : le bouquet devait encore se fixer, les bulles arriver. Ces dernières se sont faites attendre elles aussi, occasionnant encore quelques moments de doute. Ce qui explique la durée du vieillissement de cette bière. Enfin arriva le moment où elle a paru idéale, et donc le moment de connaître son taux d'alcool. Après analyse, il s'est avéré qu'il s'élevait à 10 %. D'une bière à 7 % semi-forte, on est arrivés à une bière forte en cinq mois, qu'il ne faut pas hésiter à déguster à température de cave, en la laissant même respirer un peu une fois versée, avant de la porter à ses lèvres.

La Potion "Triple Rhum"

On peut la boire seul si l'on assume le fait d'être un gros ivrogne...

... ou (c'est recommandé) en bonne compagnie !
Au visuel, elle s'habille d'une robe blond foncé légèrement trouble, aux reflets ambre claire. Sa tête de mousse blanche est épaisse et compacte d'abord, bien collante en fins morceaux de dentelles, bien persistante en un fin col.

Au nez, les arômes se montrent bien perceptibles, d'abord épicés évoquant une triple de caractère. On la laisse "s'ouvrir" un peu et on sent arriver des arômes plus doux et fruités, se traduisant notamment par des notes de pomme et, plus discrets, de poire et mirabelle.

En bouche, l'attaque est vive et sèche. Mais elle débouche sur un corps de texture riche et moelleuse, d'où se dégagent des saveurs où le fruit domine d'abord avec des notes de pomme et poire, ainsi que de plus exotiques d'orange et autres agrumes plus amères, le tout mêlé de notes d'épices prononcées. L'alcool, auquel le rhum donne un coup de fouet se mêle à tout ça sur la fin de bouche de façon fulgurante, et tranche le moelleux du corps dans le vif avec puissance et chaleur. L'amertume de fin de bouche, aux notes herbacées et de pelures d'agrumes, apporte elle aussi sa part pour équilibrer le moelleux du corps et la chaleur alcoolisée, discrètement persistante.

Au-delà d'une dose d'alcool supplémentaire, son vieillissement en fût de rhum a donné à cette bière de belles notes fruitées, un peu plus discrètes dans la triple classique, plus de moelleux aussi passée la sécheresse de l'attaque, et tellement plus de chaleur. Le côté Banyuls du fût semble malheureusement avoir été supplanté par le caractère fruité et alcoolisé du rhum. Les traits boisés que l'on peut trouver dans d'autres bières vieillies en fûts n'apparaît pas. On se trouve ici à la croisée des chemins entre le caractère épicé et fruité d'une triple et la puissance chaleureuse d'un barley wine. À vous de voir de quel côté vous pencherez... Comme une triple, elle peut supporter des plats épicés ou un bout de chocolat blanc (ou la tablette, là encore c'est vous qui voyez...). Mais comme un barley wine, elle devrait se montrer capable d'équilibrer un fromage de caractère tel qu'un Comté plus de 24 mois, un Époisses, un Langres voire même un bleu costaud comme du Roquefort. Bref, une "collab" qui a donné un résultat plutôt sympa !