Retour une fois de plus à Paris, à la Brasserie de La Goutte d'Or. Eh oui, quand je tiens une brasserie de grand talent, j'ai du mal à la lâcher...
C'est pour sa dernière nouveauté qu'on y retourne cette fois : L'Imperann, un Russian Imperial Stout, vieilli en fût de Speyside Whisky qui plus est.
Russian Imperial Stout ? Speyside Whisky ? "Qu'est-ce qu'il nous pourrit le crâne avec des termes bizarres ?", grogneront peut-être certains d'entre vous... Et ils n'auraient pas tort. Petites explications.
Russian Imperial Stout ? Il s'agit d'un style de bière hérité des bonnes relations entre la Russie impériale du tsar Pierre le Grand et l'Angleterre de l'orée du XVIIIe siècle. Anglophile, Pierre le Grand ramena notamment, d'un voyage dans son pays préféré (1698), un grand amour des ales fortes britanniques, les stout ales. Les Porters n'existant pas encore en tant que tels, les stout ales pouvaient à l'époque être brunes ou plus claires. Le Pierrot en question voulut en importer jusque chez lui, dans la lointaine Russie. Mais pour tenir le coup sur plus de 1600 bornes, il fallait une bière fortement alcoolisée et houblonnée. C'est la brasserie londonienne Barclay qui obtint le marché.
Dans les décennies qui suivirent apparut à Londres le style "Porter", décliné en variantes telles que le "Stout Porter". Ou "Stout" tout court, dont l'Irlande s'est fait une spécialité dès la seconde partie du XVIIIe siècle grâce à une marque mondialement connue, mais aussi - et heureusement ! - grâce aujourd'hui à d'autres, moins importantes mais plus douées.
Barclay continua à brasser pour le marché russe tout au long du XVIIIe siècle et, avec le perfectionnement des techniques, les stout ales du marché russe devinrent des Stout Porters. L'impératrice Catherine II, ou la Grande Catherine (1762-1796), était elle aussi très friande de ces bières foncées très fortes. Elle s'en faisait donc brasser tout spécialement. Ainsi est naturellement né l'Imperial Stout, qui se développa aussi, bien évidemment sur le marché anglais de la bière. Tombé en désuétude aux XIXe et XXe siècles, comme bien d'autres styles de bière, l'Imperial Stout est réapparu ces dernières années à la faveur de la révolution mondiale de la microbrasserie artisanale, partie des States à la fin des années 70. Un style réputé aujourd'hui pour être capiteux et d'une grande puissance gustative.
Speyside Whisky ? Là, c'est plus simple : le Speyside est une région grande productrice de whisky du Nord de l'Ecosse. Elle concentrerait environ les 2/3 des distilleries écossaises de whisky (source : http://www.whisky.fr/pays-d-origine/ecosse/speyside.html). L'Imperann a donc été vieillie en fûts de whisky venus de cette région.
Imaginez une bière d'un style réputé puissant agrémenté de saveurs venues d'un fût ayant contenu du whisky... Pour le reste, l'Imperann a été brassée à partir d'orge maltée et - il y a de fortes chances - d'orge torréfiée, ainsi que d'avoine. Pour les houblons, c'est l'inconnue. De fermentation haute, elle a été mise à maturation durant quatre mois en fût de Speyside Whisky donc, avant - il y a là aussi de fortes chances - une dernière période de maturation et de refermentation en bouteille. Elle titre 10.7 % de teneur en alcool, ce qui en fait une bière très forte, qu'il vaut mieux savourer lentement et à une température d'entre 10 et 12° C (à mon humble avis, comme toujours, vous faites comme vous voulez).
Voilà la bête :
Au visuel, elle nous montre une robe noire opaque, surmontée d'une tête de mousse brun clair d'abord abondante, plutôt compacte, bien collante en fines dentelles horizontales, bien persistante ensuite en un fin col de consistance crémeuse, type mousse de café espresso.
Au nez, on perçoit des arômes corsés et alcoolisés. Cela se traduit par des notes torréfiées et de chocolat noir, adoucies d'une touche caramélisée et légèrement vanillée. Tout cela se mélange à un côté capiteux relativement prononcé avec des vapeurs alcoolisées rappelant le bourbon.
En bouche, l'entrée de consistance épaisse, presque huileuse, est malgré tout un peu allégée par une certaine effervescence. Suit un corps d'une belle puissance et vif, aux saveurs prononcées de chocolat, de grillé, de café, arrondies par une touche caramélisée. Le tout est environné de fortes notes alcoolisées, chaleureuses, mêlant whisky, notes boisées et notes grillées. L'amertume de fin de bouche, tranchante et grillée, persiste longuement en compagnie de la chaleur que l'on peut attendre de tels tons alcoolisés.
Ma réaction lors de la toute première gorgée a été "WOW !" tellement la puissance de ce breuvage a paru m'exploser dans la bouche. Tout y était : la force, les saveurs chocolatées, grillées, torréfiées, l'enivrante chaleur d'un alcool bien présent et amenant des saveurs boisées et de whisky indéniables, et une amertume persistante. Un vrai plaisir, un redoutable plaisir même, à ne pas se faire n'importe quand ni n'importe où : privilégiez une fin de soirée tranquille ou un moment de partage avec un ou deux de vos meilleurs amis. Une sensation de bien-être et de somnolence peut s'emparer de vous à la fin du verre...
Pour les dijonnais et côte-d'oriens, desquels je ne suis jamais très loin, il est possible de la trouver à la crémerie La Grapillotte :
- 26 rue Monge, 21000 Dijon
- 5 rue des Grandes Varennes, 21121 Ahuy
Et peut-être chez d'autres, mais je ne suis pas au courant...
Lire aussi :
- La 3 Ter, quand brasseurs et torréfacteurs se rencontrent...
- La Château Rouge, une dégustation pimentée
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire